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21 septembre 2013 6 21 /09 /septembre /2013 22:32

 

 

Georges Pageix

 

Médecin-major

de la Grande guerre

 

1880-1921

 

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Georges Pageix à 36 ans (vers 1916)*

 

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(*):  Les trois chevrons cousus sur sa manche gauche indiquent deux années de présence au front: un pour la première année, et un par semestre: la photo a donc été prise en 1916. Le brassard est celui des médecins. Ce visage souriant est bien celui d'un homme "sympathique", comme le souligne l'une de ses notes militaires.

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1-Avant-propos

 

 

Il n'est pas nécessaire de flâner longtemps dans le cimetière de Beaumont pour y découvrir, cachée derrière une rangée d'ifs (*), une tombe ornée d'une plaque en bronze; celle-ci présente, auréolé de feuilles de lauriers et de chêne, le visage d'un militaire coiffé du béret des chasseurs alpins. On peut lire, entre une Croix de Guerre et une Légion d'Honneur, l'inscription suivante:

« 1880-1921 Georges Pageix,  caporal honoraire au 6ème bataillon de chasseurs alpins ».

Dans cette tombe repose aussi son épouse Marie, née Robillon, décédée le 22 mai 1971 à Châteldon.

(*): Malheureusement coupés depuis...

 

 

 

Georges Pageix, médecin de la Grande Guerre.

Plaque en bronze sur la tombe de Georges et de Marie Pageix.

Cimetière de Beaumont.

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Il s’agit de Jean-Baptiste Laurent Georges Pageix (dit Georges Pageix), médecin, né à Beaumont le 24 juin 1880, dont mon grand père Pierre Pageix, (son cousin), nous parlait souvent. On les voit ensemble sur des photos prises pendant la Grande Guerre par mon grand oncle Joseph Pageix, frère de Pierre. J'ai retrouvé à la Bibliothèque Nationale de France sa thèse de médecine, soutenue à Paris en 1906; elle portait sur "un nouveau procédé d'anesthésie en art dentaires"...

 

Pendant la Grande Guerre, il servit le plus souvent en première ligne comme médecin-major au 46ème, puis au 6ème Bataillon de Chasseurs Alpins. 

J'ai une grande admiration pour cet homme qui fit le sacrifice de sa vie en soignant les blessés sous la mitraille. Il fut touché une première fois en juillet 1915 en Alsace au cours des combats du Braunkopf et du Reichakerkopf et évacué au repos à l'hôpital de Bizerte. Marié à Paris le 13 octobre 1915, il se porta néanmoins volontaire à l'issue de sa convalescence pour retourner au front dans un autre bataillon de Chasseurs, le 6ème...

On imagine avec peine l'extrême dureté de la vie sur le front, au milieu des combats. Il faut pour s'en pénétrer lire les journaux de marche des unités; les plus gradés, jusqu'au rang de colonel n'étaient pas épargnés par les tirs mortels. Ainsi, le colonel Nautret fut grièvement blessé le 7 novembre 1914 en inspectant les lignes et mourut le surlendemain. On ne compte plus bien sûr les officiers, capitaines et lieutenants, chargeant toujours en tête, qui se firent tuer tout comme leurs hommes.

À son arrivée au Bataillon le 11 avril 1915, Georges Pageix remplaça le médecin aide-major Fumel  qui venait d'être blessé et évacué.

Au 6e Bataillon de chasseurs, alors qu'il soignait et évacuait des blessés, le 1er août 1917, au cours des combats meurtriers du plateau de Craonne (*), et plus précisément de la Tranchée de la Gargousse, au Chemin des Dames, une balle de schrapnell lui enleva l'œil gauche. Il fut évacué et rendu à la vie civile. Mutilé de guerre, il n'en continua pas moins à exercer à Paris où il avait toujours vécu depuis ses études de médecine et où il s'était marié. Son cabinet dentaire était installé au 29 avenue Niel. Il mourut subitement et prématurément, à 41 ans.

(*): Lieu de sinistre mémoire; ces combats meurtriers furent à l'origine d'une fameuse chanson.

Faute de renseignements suffisants sur sa vie civile, je me suis consacré surtout à son service militaire, qui peut être reconstitué fidèlement grâce à son dossier conservé aux Archives de la Défense du Château de Vincennes et aux journaux de marches, conservés dans le même service d'archives (consultables en ligne), ainsi que ceux des ambulances, conservés au Val-de-Grâce; ces journaux de marche permettent de suivre toutes ses campagnes.

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2-Sa famille, sa naissance à Beaumont 

 

Georges Pageix est né à Beaumont le 24 juin 1880. il appartenait à une famille de vignerons, implantée à Beaumont depuis environ 1600 (voir généalogie en annexe et voir aussi l'article "Les Pageix"). Ses parents étaient Alexis Amable Louis Pageix, propriétaire viticulteur, né à Beaumont le 15 avril 1851, et Marie Clotilde Grand, née à...le...

 

Georges avait une sœur aînée, Philomène, née le 29 février 1876 à Beaumont comme lui, le 29 février 1876. Au mariage de celle-ci, le 11 avril 1898, Georges, qui avait alors 18 ans et qui entamait ses études de médecine à Clermont, fut certainement présent. Philomène Pageix épousa en Mairie de Beaumont Alexandre François Souchal, natif de Clermont (5 octobre 1876). Il était négociant tout comme ses parents Joseph et Élisabeth Émilie Bouchet. Mes arrières grands parents Jean-Baptiste Pageix et Bonnette Bardin assistèrent au mariage comme en témoignent les menus qu'ils avaient conservés. 

L'acte fut passé en Mairie de Beaumont, en présence de Jean Goy-Pageix, 48 ans, "ancien notaire", cousin de l'épouse, dont la demeure à Beaumont était une maison bourgeoise avec tourelles, devenue par la suite l'actuelle mairie. Était présent un autre cousin, Jean Cohendy, 53 ans, Maire de Royat (*). Le Maire de Beaumont qui dressa l'acte était Léger Vignol.

Le moniteur du Puy-de-Dôme évoqua dans ses pages le mariage religieux qui fut célébré le 13 avril en l'église Saint-Pierre de Beaumont "avec un éclat exceptionnel":

 

 

"Mariages - Hier a été célébré à l'église de Beaumont le mariage de M. Alexandre Souchal avec Melle Philomène Pageix.

"Le mariage civil avait eu lieu la veille à la mairie de Beaumont.

"Les témoins du marié étaient ; M. l'abbé Gorsse, son oncle, et M. Cohendy, maire de Royat, son cousin; ceux de la mariée, M. Grand, son oncle, et M. Goy, son cousin.

"La cérémonie religieuse a eu un éclat exceptionnel; l'église superbement décorée de fleurs et de verdure était trop petite pour contenir une foule nombreuse et élégante.

"M. l'abbé Gorsse qui a béni les jeunes mariés a prononcé une allocution très touchante.

"La partie musicale, sous la direction de M. Martinez a été un véritable régal artistique. Parmi les morceaux exécutés, citons une Marche nuptiale, de M. Martinez, et un joli morceau de Dupuy: Voix célestes, par un excellent orchestre de 15 musiciens; l'Agnus Dei, de Bizet, fort bien chanté par M. Manigler, ténor à la voix chaude et vibrante; un solo de violoncelle dans lequel l'archet magique de M. Chizalet a fait merveille; enfin un O salutaris, de M. Martinez, délicieusement interprété par M. Carradot, qui était accompagné par MM. Chizalet, Médina et Grasset.

"Après la cérémonie nuptiale, un lunch a été servi dans les beaux salons du grand hôtel Servant (Royat) où a eu lieu également le dîner, le souper et un bal très animé qui s'est prolongé fort avant dans la nuit".

(Extrait du Moniteur du Puy-de-Dôme aimablement communiqué par mon ami Johan Picot)  

 

On se rendit ensuite au Grand Hôtel de Royat, où les convives déjeunèrent, puis ce fut en soirée un long dîner avec, comme à l'accoutumée, une kyrielle de mets, tous aussi appétissants les uns que les autres, si l'on en juge par le contenu du menu du dîner. On notera que les vins de Chanturgue et de Corent voisinaient sans vergogne avec le Rœderer et le Saint-Émilion!

 

(*): Jean Cohendy-Bouchet fut maire de Royat de 1880 à 1902 (une rue de Royat porte son nom). Les Cohendy, les Bouchet et les Pageix cousinaient amplement. J'ai montré dans ma biographie consacrée au Général de Division Aérienne Alexandre Bouchet, un beaumontois remarquable, cousin et ami de mon grand père Pierre Pageix, que tous les Bouchet de Beaumont venaient de Royat où leur nom était bien présent depuis au moins le Moyen Âge; il fallut néanmoins attendre le 28 février 1656 pour qu'un Anthoine Bouchet de Royat vint à Beaumont épouser une Jeanne Vignolle. Le couple s'installa donc à Beaumont où les Bouchet se multiplièrent au fil des générations et des alliances...

Georges Pageix, médecin de la Grande Guerre.

Le Grand Hôtel de Royat. Aspect actuel.

Georges Pageix, médecin de la Grande Guerre.
Georges Pageix, médecin de la Grande Guerre.
Georges Pageix, médecin de la Grande Guerre.

Mariage de Philomène Pageix au Grand Hôtel de Royat-le déjeuner fut une collation somme-toute assez légère, tandis que le dîner fut très copieux, comme tous les repas de noce. Dîner en présence du Maire, Jean Cohendy Bouchet, cousin du marié. Collection de menus Jacques Pageix.

Georges Pageix, médecin de la Grande Guerre.

Le Grand Hôtel de Royat en 1905 (coll. pers.).

Georges Pageix, médecin de la Grande Guerre.

À Royat vers 1905. Beaucoup de personnages n'ont pu être identifiés. Le petit garçon aux cheveux long est Paul Teihol, le couple mes grands parents, Pierre et Jeanne Eugénie née Cromarias, Germaine (devant, avec une canne), fille d'Eugène Cromarias (chapeau melon), et de son épouse Eugénie née Labourier (chapeau et canne), le couple Alexandre Souchal (canotier à la main)-Philomène Pageix (sœur de Georges).

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3-Son service militaire

 

Sa fiche matricule porte le numéro 1659 et précise qu'il était de la classe 1899. Elle indique qu'il demeurait à Clermont-Ferrand (probablement chez ses parents pendant ses études voir les recensements), qu'il avait les cheveux et les sourcils blonds, les yeux bleus, et qu'il mesurait 1m,72. Engagé volontaire pour 3 ans à la mairie de Clermont-Fd le 9 novembre 1900, il arriva à son corps d'affectation le 92e régiment d'infanterie le 10, et fut immatriculé sous le N° 2004.

Il demanda alors à bénéficier de la loi du 11 juillet 1892, en vertu d'un certificat délivré par la faculté de Clermont attestant qu'il était étudiant en médecine. Muni d'un certificat de bonne conduite, il fut donc envoyé en disponibilité le 22 septembre 1901 afin d'accomplir ses études de médecine.

L'armée n'oubliait évidemment pas ses sursitaires: elle s'informait régulièrement auprès de la Faculté de la situation de l'étudiant en médecine au regard de ses études. Ainsi, le jeune médecin se voyait en quelque sorte entamer une double carrière: côté civil, en exerçant son métier, et côté militaire, en étant promu à des grades supérieurs et en étant affecté à des postes précis dans la Réserve.

Au cours de ses études, Georges fut donc d'abord nommé médecin auxiliaire de réserve le 28 juillet 1904, et affecté à l'hôpital N° 21 du 13e Corps d'Armée. Le diplôme de médecin de Georges, une fois obtenu, fut aussitôt dûment transmis par la Faculté de Médecine de Paris à l'autorité militaire. Georges fut promu Médecin aide-major de 2e classe de réserve (décret du 26 septembre 1906), et mis à la disposition du général commandant le 13e Corps d'Armée. Le mémoire de proposition notait:"apte à faire campagne, ne monte pas à cheval (ceci sera contredit par une apréciation ultérieure...), affecter de préférence dans un corps de troupe à pied ou une formation sanitaire". Ces grades successifs étaient assortis d'affectations militaires précises:

Le 16 mars 1907, il fut affecté à l'hôpital de campagne N° 4 de la 63e Division d'infanterie de Réserve.

Le 26 juin 1911, il fut nommé Médecin aide major de 1ère classe de réserve et maintenu dans son affectation. 

Le 30 juillet 1913, il fut affecté à l'ambulance N° 5 de la 63e Division d'infanterie de Réserve (il y sera incorporé lors de la mobilisation d'août 1914).

Enfin, le 1er octobre 1913, il passa dans l'armée territoriale, maintenu dans son affectation.

Cette "emprise" de l'armée comportait bien sûr des périodes d'exercices (voir mes articles "Lettres du service militaire", et "Nos parents et le service militaire"). On compte trois exercices pour ce qui le concerne:

-Du 24 août au 20 septembe 1903, pendant ses études;

-Du 3 au 20 septembre 1907: 10 séances à l'école d'instruction au 36e Régiment d'Artillerie. L'appréciation de son stage est élogieuse: "Aucours de son stage au 36e régiment d'Artillerie, Mr Pageix a fait preuve de beaucoup de bonne volonté. Apte à rendre d'excellents services. Clermont-Fd, le 1er octobre 1907. Le Colonel commandant le 36e d'Artillerie". Cette appréciation fut complétée par celle du chef de corps, le Directeur du service de santé du 13e Corps: "Bon médecin, actif, zélé, peut faire campagne";

-Du 6 au 25 juin 1911: pour celui-là, l'appréciation fut concise: "Zélé et assidu"...

Cette autre appréciation, probablement de 1907, vient contredire l'inaptitude à l'équitation:

"6e Régiment d'Artillerie:

"Aptitude médicale: exerce la profession de dentiste. Apte à diriger le service dans un corps de troupe. Bon médecin et cavalier rigoureux, Mr Pageix peut rendre de bons services dans un corps de troupe à cheval"!!! 

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4-Ses études de médecines à Clermont-Fd puis à Paris (1900-1906), Sa thèse en 1906 

 

À 20 ans, Georges était donc étudiant en médecine à Clermont-Fd. Toutefois, il termina ses études à Paris, puisque qu'il y présenta sa thèse en 1906. En effet, à l'époque, Clermont ne disposait que d'une "école de médecine" en charge des deux premières années, ce qui obligeait les étudiants à terminer leurs étude et à soutenir leur thèse ailleurs. 

Le préambule de sa thèse précise en effet qu'il fréquenta d'abord l'école de médecine de Clermont-Ferrand de 1900 à 1903, auprès des professeurs Bousquet et Du Cazal.

Il gagna ensuite la capitale où, inscrit à la faculté de médecine de Paris, il fit en 1904 un stage à l'hôpital Baudeloque avec le professeur Pinard, puis en 1905 à l'Hôtel-Dieu avec le professeur De Lapersonne, sous l'autorité du professeur Sauvage, chef de clinique de la faculté de médecine de Paris.

Il se spécialisa ensuite en art dentaire, sous l'égide de docteurs attachés aux hôpitaux de l'Hôtel-Dieu, de La Charité, et de La Pitié.

Pour étayer sa thèse, Georges Pageix passa plusieurs mois à l'Hôtel-Dieu, de février à juin 1906, afin d'enregistrer les réactions d'un "échantillon" de patients qui subirent des soins administrés selon sa méthode. 

Pendant ses études à Paris, Georges Pageix habita le quartier Latin, à proximité de la faculté de médecine, d'abord au 1 rue de la Harpe (cette rue donne sur la place de la Fontaine Saint-Michel), puis au 9 rue Monge à partir du 20 décembre 1906. Ensuite, à partir du 15 mai 1907, il demeura 29 avenue Niel, dans un bel immeuble haussmannien qui abrita son cabinet dentaire où il exerça jusqu'à sa mobilisation.    

 
Georges Pageix, médecin de la Grande Guerre.

Le N° 1 de la rue de la Harpe. Photo Jacques Pageix 2012.

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Le 4 juillet 1906, Georges soutint avec succès sa thèse de doctorat sur "L'Étude d'un Nouveau procédé d'Anesthésie en Art Dentaire", et fut reçu docteur en médecine le même jour.

Le Président du jury de thèse était le Professeur terrier (*) et les juges de thèse MM Reclus, Professeur, et Mauclaire et Gosset, agrégés. Georges avait dédié sa thèse à la mémoire de sa mère décédée, à son père "en témoignage de reconnaissance et de profonde affection", ainsi qu'à ses amis.

Il la dédia aussi à ses "premiers maîtres de l'École de Médecine de Clermont-Ferrand, MM les professeurs Bousquet, du Cazal et MM les Docteurs Planchard, Maurin, Bide, Lepetit, Dieulafé, Billard, Dionis du Séjour, ainsi qu'à ses maîtres en l'Art Dentaire MM les Docteurs Pietkiewicz, Nogue (Hôtel-Dieu), MM les Docteurs Cruet, Robin (La Charité) et MM les Docteurs Ferrier et Moireau (La Pitié)

(*): Professeur de clinique chirurgicale à la Faculté, chirurgien fr l'Hôptal de la Pitié, Membre de l'Académie de Médecine, Commandeur de la Légion d'Honneur.  

Georges Pageix, médecin de la Grande Guerre.

Thèse de médecine de Georges Pageix (1906). Bibliothèque Nationale de France, Cote 8 TH PARIS 1924, notice N° FRBNF 36917229, Faculté de Médecine de Paris, Année 1906, N° 342.

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Ensuite, à partir du 15 mai 1907, il installa son cabinet 29 avenue Niel, dans un bel immeuble Hausmannien. Il y restera jusqu'à son décès en 1921.

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5-La mobilisation: l'Ambulance N°5 de la 63e Division d'Infanterie (août 1914-avril 1915)

 

 

Mobilisé dès le début de la Grande Guerre, le 16 août 1914, comme engagé volontaire, il servit d'abord à l'Ambulance N° 5 de la 63e Division d'Infanterie.

Lisons le journal de marche du service de santé de la 63e Division d'Infanterie auquel était rattachée l'ambulance N°5 (*): 

"L'ordre de mobilisation générale est le 2 août. Du 5 au 11 août, la 63e Division d'Infanterie de réserve se forme et se mobilise à Clermont-Ferrand et dans les autres places des Corps d'Armée. Elle comprend 5 ambulances: Nos 1, 2, 3, 4 et 5 dont les trois premières seulement doivent marcher avec la division, les deux autres (4 et 5, donc celle de Georges) restant au service de l'arrière, avec deux sections d'hospitalisation et un groupe de brancardiers divisionnaires".

(*): accessible en ligne sur le site "Mémoire des hommes".

La photo ci-dessous prise probablement par mon grand oncle Joseph Pageix (ils se voyaient quelquefois), le montre au milieu de son équipe médicale de l'Ambulance N°5. Comme le montrent les deux photos suivantes, les fourgons sont pratiquement identiques à ceux qu'on utilisait du temps de Dominique Larrey, Chirurgien en Chef de la Grande Armée, tels qu'on peut les voir sur une vieille gravure! (Musée Val de Grâce). François Cromarias, le Chirurgien Major qui connut Larrey (son inventeur), et dont je retrace par ailleurs l'épopée (voir "François Cromarias, Chirurgien Major, médecin, 1764-1851") n'aurait certainement pas trouvé de différence avec les siennes... 

Photo Joseph Pageix

Photo Joseph Pageix

Georges Pageix (brassard foncé) au milieu de ses ambulances hippomobiles. Ce doit être d'août 1914 à avril 1915, alors qu'il était affecté à l'Ambulance N°5 de la 63e Division d'Infanterie. Cette photo n'a pas été prise à l'improviste, car les hommes affichent des poses peu naturelles. On notera l'attitude burlesque de l'homme qui imite un cheval attelé... (Et tout cela sous l'œil amusé de Georges Pageix...)

Ces ambulances n'étaient pas appréciées et les médecins se plaignaient de leur inconfort et souhaitaient obtenir des automobiles:

"Les grandes et petites voitures pour blessés, écrivaient-ils, sont peu pratiques. Elles ont d'abord tous les inconvénients de la traction animale dont le plus banal est l'extrême lenteur et la limite d'emploi à cause de la fatigue des chevaux. Elles sont très encombrantes pour le service qu'elles rendent. Elles sont peu confortables pour les blessés et leur mauvaise suspension est bien connue".

Photo Joseph Pageix

Photo Joseph Pageix

Un parc d'ambulances à la ferme de la Thibaudette, Clermont-en-Argonne. Photo Joseph Pageix. On notera en les comparant à celles inventées par Dominique Larrey, Chirurgien en Chef de la Grande Armée, que celles-ci n'avaient guère changé entre-temps...

 

 

Une ambulance de la Grande Armée (Musée du Val de Grâce).

 

 

Une autre préoccupation des services de santé militaire, également exprimée dans le journal de marche de l'ambulance était la lutte contre les gaz asphyxiants. On lit ceci:

"La lutte contre les gaz asphyxiants ayant été mise à la charge du service de santé constitue actuellement sa principale, presque exclusive occupation au détriment de ses autres obligations. De nombreuses conférences ont été faites aux Médecins et par ces derniers aux officiers et aux hommes pour expliquer les effets de ces gaz et les moyens de s'en préserver".

Lorsqu'on lit les passages du journal de marche consacrés aux gaz, on constate que l'on tâtonne encore notablement et que l'on en est réduit à expérimenter des procédés rudimentaires et peu fiables pour protéger les soldats, même s'il est indiqué que "Les nouveaux Masques Tambutet vont être distribués". Avec la "complicité" des pharmaciens et des chimistes, on se livre même à des expériences pour le moins hasardeuses:

"La distribution des engins de protection continue dans les Corps (...) Dans tous les cantonnements de seconde ligne, des expériences de passage des hommes en atmosphère chlorée sont exécutées pour leur donner confiance dans les engins distribués".

Toutefois, malgré des exercices répétés, ces "engins" sont appliqués d'une façon défectueuse et des incidents fâcheux surviennent:

"Des essais ont été faits sur l'efficacité des engins de protection. L'appareil à oxylithe s'est montré insuffisant par suite de la difficulté d'application de la pince sur le nez par dessus les lunettes. L'étudiant en médecine Agostini (pauvre cobaye!...) faisant fonction de Médecin auxiliaire qui s'était offert volontairement pour cet essai a été sérieusement intoxiqué et a dû être admis à l'ambulance 4/44 à Ploisy"!

 

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J'ai pu aussi consulter le journal de marche de l'ambulance N°5, conservé quant à lui aux archives du val de Grâce. Ce journal fut rédigé par le Médecin Major de 1ère classe Chabrol, qui commandait la 5e Ambulance.

Georges Pageix, médecin de la Grande Guerre.

Le jmo de la 5e Ambulance (63e division, VIIe Armée)

Archives du Val-de-Grâce.

 

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Je n'hésite pas à présenter ici de longs extrait de ce journal, avouant que je ne me suis pas ennuyé à lire ces péripéties pour le moins pittoresques de l'Ambulance 5/63, et à goûter le style du Médecin-Chef Chabrol qui ne manque pas de sel:

 

"Le 4e jour de la mobilisation, mercredi 5 août arrivée à Clermont à 12 h. Le soir, visite de Mr le Directeur du service de santé qui me remet le plan XVII de mobilisation de l'Ambulance N°5. L'effectif est composé de:

M.M. Chabrol, médecin-chef (Vichy), les médecins Le Sourd (Paris), Reniaud (St-Étienne), Laurent (Allier), Pageix (Aide médecin de 1ère classe, 29 avenue Niel, Paris), Glénard (Vichy), Jamet, pharmacien (Paris), Gras, officier de réserve (hôpital de Grenoble), Valette, officier d'administration de réserve (St-Étienne)".

Le médecin-chef Chabrol rencontre de sérieux problèmes pour rassembler l'équipement de la 5e ambulance avant son départ:

"Les plus grosses difficultés m'attendent, écrit Chabrol, l'Ambulance N°5 de la 63e Division de réserve n'était constituée ni en voitures, ni en harnachement. M. le Directeur du service de santé du XIIIe Corps d'Armée avait rejoint l'armée, et son successeur ne pouvait me donner ni renseignements ni conseils utiles.

"Je dois ici remercier Mr le Commandant Béranger et la 26e Division et le parc d'artillerie: 5 fourgons modèle 1874, 7 harnachements et divers objets me furent remis et je pus dès lors assurer le transport du matériel".

Le 15 août, l'Ambulance regroupée à Clermont-Triage se transporta à 22h47' (Chabrol est très précis!...) à Lure où elle arriva le 16 à 5h8' (!). Elle poursuivit ensuite jusqu'à Ronchamp (*) où elle cantonna. Après une journée de repos, les fourgons et leur contenu furent montrés aux infirmiers et, le soir, on fit un exercice de brancardiers auquel les infirmiers prirent part; "la plupart d'entre-eux n'avait jamais été exercés"...   

(*): Ronchamp (Haute-Saône) est une petite ville minière où l'on exploite du charbon. Voir la Biographie de mon arrière grand oncle Eugène Cromarias ingénieur des mines: sa fille Germaine s'y est mariée en 1917 avec Charles Bureau dont le père était aussi ingénieur des mines et dirigeait les houillères de Ronchamp...

 

 

Parc d'ambulances à la ferme de Vauberon.

Photo Joseph Pageix, prise le 30 avril 1916.

 

On monta la tente dortoir en une demi-heure, temps record d'après Chabrol, car "tous nous ignorions comment on la montait". Les chevaux furent l'objet d'une rigoureuse inspection: l'un d'eux fut laissé aux soins de la municipalité car il avait reçu au départ de Clermont une contusion à l'épaule gauche! Chabrol souligne qu'il avait souhaité un ou deux maréchaux pour s'occuper des chevaux, mais que ni la 5e ni la 4e Ambulance "qui marche avec nous n'en possède, puisque le commandement du train nous les a enlevés au dernier moment". Le 18 août, l'Ambulance N°5 quitte Ronchamp à 7h pour Geromagny (Territoire de Belfort) où elle arrive à 11h30'.

Chabrol constate que "Les hommes marchent très bien". Le soir même les deux ambulances 4 et 5 se réunissent pour voir ensemble et en détail l'organisation du service de santé en campagne, et le lendemain 20, le médecin-chef réunit les officiers et les infirmiers et procède aux affectations de chacun: un fourgon fut affecté à un médecin et 3 infirmiers et de plus, "il est désigné des infirmiers pour chaque fraction de l'Ambulance: les entrées, les pansements, les opérations éclopés" (sic), et "des gradés sont chargés de la discipline et de la conduite des blessés".

Le docteur Chabrol avait prévu dans la foulée une répétition générale de l'installation de l'Ambulance, mais l'ordre lui fut signifié de se rendre à La Chapelle Sous-Rougemont à deux km de la frontière. Les 20 km de trajet se firent sans peine et il note dans le journal de marche que "les hommes sont très vaillants et pour des réservistes et des territoriaux très endurant!" Plus loin, il note que la colonne "rencontra en route un fourgon automobile allemand, pris par les nôtres, chargé de prisonniers allemands et qui était conduit par le propre chauffeur allemand!", et il s'en réjouit, car "la curiosité et l'enthousiasme y trouvèrent un aliment pour toute la route!". Le soir même, à la Chapelle Sous-Rougemont, l'on pu voir un long convoi de prisonniers officiers et soldats de la "Landwehr" qui étaient dirigé sur Belfort.  

Ici encore, les officiers, "les hommes du train et les infirmiers procèdent à l'installation simulée d'une ambulance et à une répétition générale. Tout fut disposé comme cela serait en réalité: bureau des entrées, salles de pansements, d'opération des éclopés et d'évacuation". 

Le 22 août, "le docteur Glénard fit dans la soirée une instruction très intéressante et que les infirmiers écoutèrent avec grand intérêt. Le sujet: l'asepsie chirurgicale en campagne"... On continue à "occuper les hommes" par des exercices de brancards et à "instruire nos infirmiers par des causeries et des exercices". 

Le 29 août 1914 tombe l'ordre de mouvement vers Le Thillot dans les Vosges, où l'Ambulance arrive à une heure du matin, "ayant fait 50 km en 12 heures; itinéraire: La Chapelle - Sonchamp - Auxelles-Bas - Mont Saint Jean - Fresse - Ternay - Château-Lambert -Le Thillot; les hommes ont été admirables d'entrain et les chevaux ont bien résisté quoique certaines côtes aient été longues de 7 kilomètres et très raides; aucun malade parmi les hommes; les chevaux évidemment sont fatigués mais ceux qui étaient bien portants le sont restés; deux ou trois éclopés devront être changés; ils boitaient déjà depuis longtemps".

Après une séjour au Thillot "sans aucun incident et sans rien qui vaille la peine d'être noté", le 3 septembre à 5 heures du matin, on poursuit jusqu'à la Bresse, à 18 km de là, sur la route qui conduit à Gérardmer. On atteint La Bresse à 9h 1/2 pour y cantonner en attendant de nouveau ordres. 

Il se rend ensuite à Remiremont où les ambulances sont inspectées le 12 septembre par le médecin inspecteur Chavane que Chabrol "n'avait pas revu depuis 1887"; il le félicite pour "avoir fait travailler le personnel et l'avoir bien préparé au rôle qu'il avait à remplir". le médecin inspecteur lui témoigne "toute sa satisfaction"...(On sent bien ici que Chabrol recherche quelque peu la reconnaissance de ses supérieurs, ce qui est ma foi assez naturel).

Le 15 septembre, on part à Bruyères où hommes et chevaux cantonnent au quartier de Barbazan qu'il faut faire nettoyer de fond en comble par les sous-officiers de plusieurs ambulances. 

Entre le 18 septembre et le 25 octobre régnerait un certain désœuvrement, mais "nous nous sommes ingéniés à faire accepter nos services", écrit le médecin-chef Chabrol. Deux d'entre nous ont fait preuve de la plus grande volonté et se sont offerts pour aider le médecin de l'hôpital civil dans les soins qu'il donne aux blessés. Les autres ont assisté régulièrement aux visites de l'hôpital. J'ai eu à commander les formations sanitaires de Bruyères", écrit Chabrol, et il ajoute: "aucun incident notable. Rien qui vaille la peine d'être signalé: une idée de tristesse fréquente chez les gens inoccupés était la nôtre"...

Enfin, le 20 novembre 1914, l'ambulance 5/63 quitte Bruyère avec la mission de fonctionner à Bussang comme H.E. (Hôpital d'Évacuation). 

On embarque à 6 heures du matin dans le train en gare de Bruyères et l'on arrive à 11 heures 30 à Bussang. Monsieur Valette, officier d'approvisionnement et Monsieur  Jamot pharmacien aide-major s'y étaient rendus quelques heures plus tôt "en éclaireur" pour s'assurer du logement des hommes et des chevaux.

Les infirmiers cantonnèrent à Bussang et les conducteurs du train et leurs chevaux dans les communs de l'hôtel des Sources. Le médecin-chef Chabrol visite Bussang où les bâtiments peu salubres et inadaptés ne le satisfont pas, même si le médecin major Douillet qui dirige l'ambulance Alpine dans les baraquements semble quant à lui s'en contenter.

Chabrol avait visité le site des sources de Bussang en septembre et repéré les deux  bâtiments de l'hôtel des Sources (bâtiment A et B). Le 21 novembre, il "réfléchi une partie de la nuit à la meilleure installation possible pour fonctionner comme hôpital d'évacuation à Bussang" et pense que c'est la meilleure solution et le fait d'être à 200 ou 1500 mètres de la gare n'a pas d'importance puisque les blessés sont transportés en automobiles.

 

 

L'"Hôtel des Sources" à Bussang (bâtiments A et B) où l'ambulance 5/63 s'installa à partir du 21 novembre 1914. On y reçut les premiers blessés le 28.

 

Au petit déjeuner, il consulte ses camarades et l'on se rend tous à l'hôtel des Sources où l'on doit rencontrer le chef d'exploitation des eaux de Bussang. Suit une description bucolique de l'hôtel et de son site:

"L'Hôtel des sources, écrit Chabrol, est située au milieu d'un parc de 15 hectares, sur la plate forme du promontoire du Bois de la Hutte (675 mètres) d'où l'on jouit d'une vue splendide sur la vallée et le cirque des montagnes. Il comprend deux bâtiments A et B réunis entr'eux par une galerie vitrée et aménagés pour une saison d'été". Il donne ensuite une description précise des deux bâtiments, qui lui paraissent utilisables sous réserve de régler les problèmes de l'eau (en hiver), du chauffage, du tout à l'égout et de l'électricité. Sur ce dernier point, "depuis la déclaration de guerre, la société électrique, qui fournit le courant à la vallée de Bussang, et qui est à Cornimont, a cessé tout service et est en désaccord avec les diverses communes. De plus, la ligne est en mauvais état: beaucoup de poteaux sont renversés, des porcelaines (les isolateurs) cassées et les fils disparus par endroit"!  

Le 22 novembre, Chabrol "confère" avec le maire de Bussang et le directeur de la société électrique et les met d'accord. Monsieur Valette, "notre dévoué officier d'approvisionnement" et 10 infirmiers aident le directeur de la société électrique qui manque d'ouvriers à remettre la ligne en état du Thillot aux Sources.

Le soir, une "surprise désagréable" attend Chabrol: L'hôtel est inondé, c'est "une vraie cascade du 3e au rez de chaussée; le dégel était survenu dans la nuit et des tuyaux éclatés par l'effet des gelées précédentes l'eau jaillissait en abondance; une pluie diluvienne ruisselait des plafonds sur les parquets, les lits, les meubles, etc." Le docteur Chabrol ajoute: "Que serait-il advenu si nous n'avions pas visité l'hôtel ce jour là?"

Le plombier et les autres corps de métiers interviennent aussitôt et réparent peu à peu ces désordres. Le docteur Chabrol lui-même paye courageusement de sa personne et l'exprime (probablement) avec humour : "Je suis entré dans le calorifère avec l'ouvrier. J'en suis sorti couvert de suie et le noir dans l'âme" ...

Les cinq journées qui suivent "se passent dan une activité fébrile et chacun aide selon ses moyens et sa compétence à l'organisation générale", puis "l'ambulance toute entière est installée dans la journée du 28, les fourneaux et les cuisines sont allumés et nous prendrons le soir notre premier repas à l'hôtel des Sources".

L'éclairage électrique fonctionne: le docteur Chabrol note que "la vallée de la Moselle depuis le Thillot jusqu'à Bussang et l'hôtel des Sources en profite et chacun sait qu'il est redevable de ce bienfait à l'ambulance 5/63".

L'ambulance dispose de 100 lits et de deux salles d'opération: "l'une pour les septiques, l'autre pour les aseptiques". 

Chacun reçoit son poste: Chabrol désigne le docteur Chalier, médecin aide-major, ancien chef de clinique du professeur Jabouley de Lyon, pour assurer le service de chirurgie. Il sera assisté des aides-major Le Sourd, Laurent, Glénard. "Le docteur Pageix, médecin aide-major me secondera pour le service de médecine".

Le 28 novembre, l'ambulance 5/63 reçoit (enfin) ses deux premiers malades (* voir note ci après).

 

 

"Le docteur Pageix, médecin aide major me secondera pour le service de médecine" JMO Ambulance 5/63, 27 novembre 1914.

Les instructions sont précises:

"l'ambulance 5/63 doit soigner sur place les blessés graves qui ne sont pas immédiatement évacuables ou qui ont besoin de subir une opération d'urgence, les malades graves et les contagieux.

"Les blessés évacuables et les malades qui ont besoin d'un traitement de 3 à 4 semaines seront évacués sur Remiremont.

"Les tout petits blessés, les fatigués seront retenus et renvoyés au front le plus vite possible". "Ma voie est tracée", conclut Chabrol. 

Le 10 décembre, il note que "le nombre des blessés et malades a augmenté ces jours derniers et il est à prévoir qu'il augmentera encore avec la reprise des hostilités en Alsace vers Thann" et il augmente du même coup la capacité d'accueil des blessés en utilisant l'école maternelle. Toutefois, il ajoute qu'il "ne pourra pas laisser longtemps la direction de l'ambulance alpine 2/74  au médecin-chef de celle-ci "qui ne paraît pas comprendre ou vouloir faire ce qui lui est demandé: soigner les blessés ou malade entrants, les classer ensuite en deux catégories, l'une, les guéris, à diriger vers l'avant, la seconde à évacuer"!...

Les jours suivants, soins et opérations se multiplient. Le 14 décembre,  l'ambulance est menacée de ne plus avoir de lumière électrique car le chauffeur électricien doit quitter l'usine de Cornimont pour rejoindre son corps à Épinal! Chabrol intervient auprès du général gouverneur d'Épinal et le chauffeur reste à Cornimont.

Ensuite, le docteur Chabrol note avec satisfaction: "mes évacuations se font très régulièrement sur Remiremont et je réussi à force de prévoyance ni à laisser encombrer l'hôtel des Sources, où sont les blessés graves ni à évacuer ces derniers avant que leur transport soit possible sans danger ou sans fatigue pour eux".

Le 20 décembre,  le conflit avec le médecin-chef de l'ambulance 2/74 s'aggrave et le docteur Chabrol s'appuie sur le docteur Pageix pour le régler: 

 

 

20 décembre 1914: "La mauvaise volonté du médecin chef de l'ambulance 2/74 et d'autres raisons assez sérieuses m'obligent à confier le service de l'annexe de Bussang, l'École maternelle, au docteur Pageix médecin aide-major de l'Ambulance 5/63. Monsieur Valette, officier d'approvisionnement et 3 infirmiers le seconderont".

 

Du 25 au 30 décembre, le nombre des blessés augmente encore (470 blessés), mais on compte parmi les entrants un assez grand nombre de gelures des extrémités des membres inférieurs "chez les hommes venant des tranchées où ils sont restés 3 à 6 jours sans être relevés, dans la position debout ou assise, les pieds mouillés, les extrémités inférieures serrées par le brodequin et la bande molletière. Cette compression continue, par la bande humide, la chaussette et la chaussure mouillée, amènent une gêne de la circulation. Le froid joue aussi un rôle qui s'ajoute à la fatigue et à la contrition de la jambe".

Chabrol souligne sur ce point qu'il a interrogé des prisonniers allemands qui lui ont affirmé "qu'il n'y avait pas de gelure dans leurs régiments car ils sont relevés des tranchées chaque jours et peuvent dormir étendus. Leurs bottes sont imperméables et ne compriment pas les extrémités inférieures".

Devant l'afflux des blessés et des gelures, le docteur Chabrol requiert l'aide du médecin chef Bessière qui dirige l'Ambulance Alpine 2/64 pour organiser les baraquements et l'infirmerie sur ses indications. C'est chose faite le 31 décembre, mais le docteur Bessière "eut beaucoup à faire pendant ces quelques jours où il garda le service des baraquements".

Du 1er janvier au 3 janvier 1915, les formations sanitaires de Bussang reçoivent 322 blessés.

Le 4 janvier, l'ambulance 2/64 quitte Bussang; elle est aussitôt remplacée par l'ambulance 16/7, mais celle-ci est transformée en "dépôt d'éclopés" et Chabrol ne doit plus s'en occuper: "Je dirige maintenant, écrit-il, mes petits malades, mes fatigués les pieds gelés vers mes baraquements d'où ils sortent par guérison sur leurs corps ou bien sont évacués".

Le 5 janvier, il note "qu'il n'a plus sous sa direction immédiate que l'hôpital des Sources et l'école maternelle agrandie, où il peut percevoir 150 blessés". Suite à sa demande, "l'ambulance 5/63 reçoit avec le plus grand plaisir Mr le Médecin Major de 1ère classe Rémond de l'armée active. Il vient en chirurgie nous aider dans notre tâche". Du coup, il crée deux équipes chirurgicales.

Le 8 janvier, l'Ambulance 5/63 reçoit 177 blessés et doit en même temps procéder à l'évacuation de 207 blessés par train sanitaire. Il remarque:

"Les trains sanitaires à jour fixe ont des avantages et des inconvénients: au point de vue de l'organisation des évacuations.

"Si les formations sanitaires peuvent recevoir et conserver quelques jours eu assez grand nombre de blessés, tout en réservant des places aux nouveaux venus - c'est bien. Les blessés peuvent alors être évacués plus commodément assis ou couchés et immédiatement surveillés.

"Si au contraire les places manquent dans les formations ou installations sanitaires, on risque, en étant obligé d'attendre un jour fixe pour l'évacuation, un véritable encombrement ou pis encore l'impossibilité de recevoir les arrivants.

"Nous avons toujours échappé jusqu'ici à cette terrible mésaventure".

Du 25 décembre au 10 janvier, l'A.5/63 recoit de nombreux blessé à la suite des combats livrés à Uffholtz et à la cote 425: 169 entrants et 531 transités, dont 16 officiers; on ne compte plus les amputations avec leurs complications habituelles.  

Le 14 janvier, la section "Hôpital d'Enlèvement" H.E. 14 sous les ordres du médecin principal Licht arrive à Bussang et s'installe dans les locaux "aménagés par moi" à l'école maternelle; "l'A.5/63 restant aux Sources ne s'occupe plus que des blessés ou malades". "J'ai ainsi beaucoup plus de loisirs, note Chabrol, et je vais aménager plus complètement les hôtels des Sources et les transformer en un véritable hôpital destiné surtout aux grands blessés, à ceux qui ne peuvent être évacués immédiatement". Il termine, un peu désabusé:

"À vrai dire, il vaudrait mieux ne pas recevoir des malades et diriger ces derniers sur un autre point. Il ne me paraît pas logique de recevoir des contagieux, des érysipèles, etc. sous le même toit que les blessés. J'obéis aux ordre donnés"...

Les opérations chirurgicales se multiplient les jours suivants. Le 25 janvier, l'ambulance est inspectée par le médecin inspecteur Hassler du D.A.V. (Détachement de l'Armée des Vosges) qui visitent l'Hôpital des Sources tout entier et donne plusieurs conseils:

"1° Augmenter si possible le nombre de lits et en réquisitionner à Plombière de 60 à 100;

"2°  Classer les blessés en blessés du crâne, poitrine, abdomen, ventre, membres. 

"3° Il ne nous sera plus envoyé aucun malade. Nous ne recevrons que des blessés.

Enfin, le médecin inspecteur s'engage à faire des démarches pour que Madame la générale Hervé vienne de Saint-Dié à Bussang avec son équipe.

Le 31 janvier, en application de la première directive de l'inspecteur, le docteur Chabrol envoie à Plombière le docteur Pageix: 

 

 

Du 26 au 31 janvier 1915: "J'envoie à Plombière un médecin aide-major le docteur Pageix réquisitionner les lits (60)"...

 

Le docteur Chabrol poursuit l'amélioration du confort de l'hôtel des Sources en faisant installer le 1er février le chauffage par de gros poêles à chaque étage du bâtiments A et du bâtiment B où il installe les fiévreux. On ne reçoit plus de malade à l'Hôtel des Sources, mais il reste les malades atteints de fièvre typhoïde à forme grave ou d'affections sérieuses des voies respiratoires. 

Le 3 février, l'ambulance 5/63 reçoit "une partie de l'équipe d'infirmières de la Société Française de Secours aux Blessés Militaires, Madame la Générale Hervé (*) est infirmière major", accompagnée de Mesdames de Chaulnes et de Miribel. "C'était un peu avant notre dîner et ces dames ont bien voulu le partager avec nous". On leur prépara "des chambres et une salle à manger dans le bâtiment A, aile gauche, 2e étage". "Nos infirmières assistantes ont pris leur service le même jour".  L'équipe des infirmière se renforcera peu après avec l'arrivée de Madame Lumière et de Mademoiselle Voisin.

(*): Monsieur Michel Guironnet (La Gazette de Thierry Sabot, histoire-genealogie.com), m'a aimablement communiqué cet article du journal Le Gaulois du 17 décembre 1920, qui évoque cette personne dont l'action auprès des blessés fut remarquable:

 

 

 

Les blessés continuent à affluer: ils proviennent des actions engagées à Hartmannsweilerkopf.

Le 9 février règne une certaine agitation, car on parle de la venue d'un personnage important et, le lendemain "vers onze heures des voitures sanitaires anglaise viennent se ranger devant l'Hôtel des Sources et s'aligner comme pour une inspection". À midi et demi le Président Raymond Poincaré arrive en automobile accompagné de monsieur Millerand, ministre de la Guerre, de plusieurs généraux, entre-autres le Général Putz, commandant le D.A.V., d'inspecteurs des services de santé militaire et de nombreux officiers. Le docteur Chabrol guide le Président dans sa visite de l'Hôtel des Sources et lui présente chaque chef de service et les assistants. "Le médecin inspecteur Hassler paraissait très content de la tenue générale et l'a manifesté par des compliments. La visite dura 3/4 d'heure environ".

Après le départ du Président, un avion français s'est montré au dessus du col surveillant l'horizon et la route du Président vers l'Alsace.

Tout au long du mois de février, l'accueil des blessé s'intensifie et les opérations chirurgicales se multiplient.

"Le 3 mars, écrit le docteur Chabrol, a été une pénible journée pour toute l'ambulance": la nouvelle du départ des médecins Le Sourd et Laurent affectés à l'Hôpital de Bussang. Il ajoute: "Partis ensemble de Clermont où notre ambulance s'était mobilisée, nous avions toujours vécu dans la plus grande union et les camarades qui nous quittent emportent notre grande estime notre amitié et tous nos respects. C'est une partie de nous même qui se détache de nous"! (on verra qu'il sera moins dithyrambique lors du départ de Georges Pageix...).

Le 4 mars, une bombe éclate à Bitchwiller; lancée par un Taube, elle tombe sur une usine occupée par des hommes et des mulets de l'artillerie de montagne, faisant une vingtaine de blessés.

Au mois de mars, les blessés en provenance de l'Hartmannsweilerkopf continuent d'affluer.    

          

 

Le 9 avril 1915, arrive l'ordre de mutation de Georges Pageix rédigé de manière lapidaire par le docteur Chabrol: "Par ordre du général D.E.S le médecin aide major de 1ère classe Pageix passe de l'ambulance 5/63 au 46e alpin" (trois médecins, Laurent, Reniaud Pageix étaient venus de Clermont avec l'A5/63).

 

Cette mutation soudaine, à relier probablement à l'appréciation mitigé du médecin-chef qui avait apprécié jusque-là les compétences et le dévouement de son collaborateur reste pour moi une énigme...Une animosité soudaine, dont les causes m'échappent, serait-elle apparue entre les deux hommes, obligeant Georges Pageix à quitter l'ambulance?  

 

 

En effet, au cours de son séjour d'une année à l'Ambulance N° 5, Georges, curieusement reçut deux appréciations pour le moins très contrastées:

 

La première est nettement élogieuse:

 

"1915 (1er semestre*): Mr le Médecin-Major Pageix Jean-Baptiste, chef de service: Esprit très cultivé. Très dévoué, a rendu de grands services à l'ambulance 5/63. Se dépense sans compter. Très grandes et solides qualités. Très discipliné. Excellent médecin. Le Médecin chef de l'ambulance 5/63";

 

tandis que la deuxième est plus nuancée:

 

"1915 (2e semestre**): S'est montré ces derniers temps sous un aspect moins favorable, en étant moins discipliné, et en échappant à la voie hiérarchique. Ambulance 5/63. Le médecin-chef Chabrol".

 

Qu'était-il arrivé à Georges Pageix au cours de ce deuxième semestre de 1915? Quel facteur était-il ainsi modifier la perception de son travail jugé jusque-là sérieux et assidu?

D'abord,  la fin de son affectation à l'Ambulance N° 5 étant le 5 avril 1915, date à laquelle il rejoindra le 46e Bataillon de Chasseurs, cette appréciation ne vaut donc que pour le semestre qui précède cette date: le premier semestre de 1915.

Ensuite, Georges Pageix, qui se mariera le 13 octobre 1915, avait probablement rencontré sa future épouse parisienne, Marie Robillon, au cours de quelques permissions passées dans la capitale, où il fit ses études et où il installa son cabinet dentaire. Ceci pourrait expliquer un certain relâchement dans la discipline qui reste pour moi bien compréhensible!...D'ailleurs, cela constitue une exception, comme le prouvera son comportement au cours des événements qui suivront, où son engagement -on le verra- sera total et plus qu'exemplaire

 

(*): Cette note doit valoir pour le deuxième semestre de 1914.

(**): Même remarque: cette note se fonde sur la période du 1er semestre de 1915, puisque Georges Pageix avait quitté l'Ambulance N°5 dès le 5 avril 1915, pour rejoindre le 46e Bataillon de Chasseurs. Il n'est pas non plus impossible que le notateur de Georges l'ait pris en grippe, mais pour quelle raison?

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On remarquera que le temps qui fut nécessaire à l'Ambulance 5/63 pour s'installer durablement près du front, à l'hôtel des Sources, est excessivement long (voir note ci après). En effet, elle ne commencera à exercer ses missions qu'à partir du 28 novembre 1914, soit quatre mois après la mobilisation!

 

Note sur le fonctionnement des Ambulances au début de la grande Guerre:

 

On ne doit pas s'étonner du temps qu'il fallut à l'Ambulance pour commencer à exercer ses missions après toutes ces allées et venues avant de trouver enfin un emplacement durable à Bussang, près des lignes du front des Vosges.

Il est en effet connu que les services de santé dont l'organisation s'avéra inadaptée dès le début de la guerre mit un certain temps à trouver ses marques.

Ce fait est très bien évoqué dans l'ouvrage "La Grande Guerre racontée par les combattants" (Quillet, 1922) où l'on trouve (tome 2, page 389) le témoignage de Pierre Rehm qui, même s'il force un peu le trait, n'en résume pas moins à lui seul toute la situation:

"Ce n'est un secret pour personne que la guerre surprit le service de santé en voie de réorganisation: matériel encore inutilisé mais vieilli dans les magasins, fonctionnement soumis à de vieux règlements et de vieilles théories, tout était désuet, mesquin et cet état de vétusté ne fut pas sans alarmer les nombreux médecins civils qui accoururent dès l'appel de la mobilisation"...

Surmontant ce départ difficile, les services de santé s'organisèrent par la suite de manière efficace et s'améliorèrent dans le transport et le traitement des blessés. En particulier, les ambulances hippomobiles furent remplacées par les automobiles aménagées pour les soins, y compris chirurgicaux. Les blessés recueillis sur les champs de bataille par les brancardiers sous la direction des médecins affectés dans les unités combattantes (régiments, etc.) étaient d'abord acheminés vers des postes de secours aménagés le plus souvent à la hâte près des positions. 

Au niveau de ces unités, on avait aussi la charge d'enterrer les soldats tués dans des sépultures provisoires.

Après les premiers soins prodigués par les médecins et infirmiers du régiment ou du bataillon, les blessés et les malades transportables étaient ensuite acheminés vers les Ambulances divisionnaires situées à quelques kilomètres en arrière des lignes (telle la N°5/63). Ils y étaient soignés, opérés et "triés" entre ceux qui partaient pour les hôpitaux situés à l'arrière, et ceux qui pouvaient guérir sur place avant d'être renvoyés au front.

Les soldats évacués vers les hôpitaux étaient transportés dans des trains sanitaires. 

Par ailleurs, les médecins militaires étaient chargés de lutter contre les épidémies qui faisaient des ravages presque aussi meurtriers que les combats eux-mêmes; ils mettaient à profit comme on le verra les périodes de repos en arrière des lignes, lors des relèves, pour procéder à des séances de vaccination. On a vu aussi que les services de santé avait une autre préoccupation la protection contre les gaz asphyxiants. 

On notera que l'hôtel des sources accueillait presque exclusivement des combattant du front des Vosges (Hartmannvillerkopf, etc) où Georges se fit muter en avril 1915...

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Note sur les soins dentaires au XIXe siècle:

 

Je me souviens que mon grand père Pierre Pageix nous racontait que dans sa jeunesse, un "dentiste" passait de temps à autre à Beaumont pour soigner les habitants du village. Sa venue était annoncée à grand cris par le garde champêtre, et l'on montait une estrade sur la place, où les patients se hissaient les uns derrière les autres. Le garde champêtre était requis de battre son tambour à chaque extraction pour couvrir les cris de douleur poussés par les malheureux qui subissaient sans anesthésie le davier du "dentiste". On mesure évidemment les progrès réalisés en la matière depuis cette époque reculée, cette discipline, devenue une science, n'étant exercée désormais que par des chirurgiens patentés, ou des médecins comme Georges Pageix qui pratiquèrent l'anesthésie (grâce à laquelle on put se dispenser des roulements de tambour!) 

 

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Sources:

-Archives de la Défense,dossier militaire de Georges Pageix, 5Ye 143108;

-JMO en ligne du 46e bataillon de chasseurs à pied (23 août 1914-10 mai 1916), JMO du 6e bataillon alpin de chasseurs à pied (18 janvier 1916-11 juillet 1918) et JMO du service de santé en campagne de la 63e Division d'Infanterie.

-Archives nationales, base Leonor, dossier Légion d'Honneur L2033029; 

-Archives du Val de Grâce, Centre de Documentation, collection des JMO des hôpitaux et ambulances 63e Division de Réserve (63e DR), Ambulance N° 5/63- 1vol (05/08/14-06/05/16), cote 905.

 

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                                                                             Fin de la première partie

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